Kant avec Lacan

Illustration: Kim Loan Domingoh

Auparavant, nous devons faire la critique d'une autre opposition de l'institution et du désir, celle qui les affronte comme le « bien »› et le « mal ». Par cette antinomie, on accède à la forme la plus extrême de l'artifice, c'est-à-dire à la réification absolue de la puissance sociale, réification qui fait découler toute affirmation de valeur d'une action constitutive et répressive du groupe social considéré comme une entité en soi. Et pourtant c'est encore ce que l'on observe fort souvent dans la culture contemporaine.

A partir de divers travaux de psychanalystes contemporains, s'est diffusée dans la littérature analytique et philosophique (ainsi que dans les media) l'idée selon laquelle la morale serait essentiellement définissable comme obéissance à la Loi tandis que le principe et l'expérience du plaisir situeraient l'individu hors du champ de l'éthique : dans une zone neutre, ou « mauvaise », champ du mal et de la transgression, transgression de cette Loi précisément.

Dans la culture contemporaine, on observe à cet égard d'étranges rencontres : Lacan, Bataille, Sade et Kant (mais bien entendu aussi Blanchot et Klossowski) vont se rejoindre pour constituer peu à peu un tissu culturel qui vaut en réalité comme doctrine « morale » et qui repose tout entier sur l'affirmation du caractère peccateur du plaisir et du caractère moral de la Loi. En outre, du bien au mal, il y aurait (pour Bataille ou Klossowski) cet unique passage : la transgression. Et celle-ci fonderait la force principale de l'érotisme et sa définition essentielle. L'extrême plaisir serait l'extrême transgression, c'est-à-dire le mal extrême; opposé à ce mal, on ne pourrait rencontrer et définir le bien et le juste que comme la Loi, c'est-à-dire à lafois la Loi morale et l'Institution. Mais l'on songe surtout, dans cette perspective, à la Moralité. Considérons par exemple le texte de Lacan intitulé « Kant avec Sade », et que nous évoquions plus haut.

Curieusement, l'accent de cette étude porte sur le comparaison (originale, il est vrai) entre le tournant historique que représente l'œuvre de Sade et sa base implicite (rendue évidente par rétroaction) que représente l'œuvre de Kant. L'analyste écrivain met bien en évidence l'idée première de Sade (trouver le plaisir dans la souffrance) et il la retrouve dans l'œuvre antérieure de Kant. Chez celui-ci, en effet, la morale est identifiée au principe universel représenté par la Loi, et celle-ci a pour fonction de combattre et de nier les inclinations égoïstes, c'est-à-dire de refouler le plaisir. De même chez Sade le principe suprême du plaisir (possibilité de l'usage de tout corps par tous) vaut comme une Loi qui (dans un gouvernement révolutionnaire) doit pouvoir s'imposer aux autres individus qui devront sacrifier pour le sujet leur plaisir privé, Chez Sade comme chez Kant, « la morale » repose donc sur l'opposition radicale de la Loi et du Plaisir non refoulé. Plus précisément, la reprise de cette opposition par Sade fonctionne (aux yeux de Lacan) comme le révélateur de l'attitude profonde de Kant : celle-ci consiste en effet dans cette satisfaction morale que l'individu est censé trouver en humiliant son plaisir, en souffrant de le combattre pour le soumettre à l'hégémonie de la Loi, comme Loi Morale. Mais, comme nous le disions, cet accent porté sur la comparaison Sade-Kant peut paraître étrange : en effet, on n'y met jamais en question la définition kantienne de la morale. Celle-ci est toujours conçue comme la répression du plaisir par la Loi. Ici, le prestige et l'autorité de Kant dans le domaine moral restent entiers et intouchables. Tout se passe, sous la plume de l'écrivain analyste, comme si Kant avait dit le dernier mot en philosophie morale et comme si, à critiquer la morale de Kant, on critiquait la morale même. Pour Lacan, comme pour Max Weber ou Freud, la morale, c'est le kantisme. Et de ce fait, dans cet article sur Sade et Kant, tout se passe (croyons-nous) comme si la morale ne pouvait recevoir qu'une seule définition et comme si elle pouvait se réduire à une seule formulation, celles de Kant précisément. Il semble donc que, à travers même la critique que l'on formule de la morale kantienne, la seule conception que l'on puisse avoir aujourd'hui de la morale soit précisément cette doctrine de la Loi opposée au plaisir comme dans une alternative. Dans le Séminaire Encore, Lacan affirme que l'amour est amoral. Il se situerait dans un mouvement de l'âme qui le révèle précisément comme « amoral ». Ne discutons pas ici la question des jeux de langage : chaque auteur choisit sa voie (et sa voix) pour dire ce qu'il a à dire remarquons plutôt qu'ils convient d'établir un lien dans la psychanalyse lacanienne entre la négation que l'amour soit moral, et l'affirmation que la morale est proprement définie par la doctrine kantienne. Il y a cohérence entre ces deux affirmations, dès lors qu'on rappelle la doctrine kantienne et ce qu'en retient la psychanalyse : l'action morale se situe du côté de la volonté universelle et elle se constitue comme ce qui nie les inclinations, l'égoïsme, et les intérêts affectifs et particuliers. En termes plus simples, qui expriment fort bien en effet et l'inspiration kantienne et l'inspiration fondamentale d'une certaine psychanalyse, on dira que c'est par essence que la morale consiste dans l'opposition de la Loi et du Plaisir (nous reviendrons plus loin sur ce lieu d'essence entre le désir et la Loi). C'est ici que l'article « Kant avec Sade » nous livrera toute sa signification. L'auteur veut y établir que la doctrine sadienne est la manifestation de la vérité de la doctrine de Kant, puisque dans ces deux doctrines s'exprime en réalité la volonté universelle et impérative de réprimer tous les intérêts particuliers. Pour sa démonstration, l'auteur se réfère d'abord au texte de Sade « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » et, notamment, à cette maxime : « J'ai le droit de jouir de ton corps, peut me dire quiconque, et ce droit, je l'exercerai sans qu'aucune limite ne m'arrête dans le caprice des exactions que j'ai le goût d'y assouvir...» C'est cette maxime qui permet à Lacan, à propos de Kant, d'affirmer: « Seulement, à force de dire du bien, ça aboutit à Kant, ou la moralité avoue ce qu'elle est. C'est ce que j'ai cru devoir avancer dans un article Kant avec Sade - elle avoue qu'elle est Sade, la moralité.» Quant à la sexualité en général, Lacan en affirme ceci, quelques lignes plus haut, à propos du pervers : « Il y a chez eux une subversion de la conduite appuyée sur un savoir-faire, lequel est lié à un savoir, au savoir de la nature des choses, il y a un embrayage direct de la conduite sexuelle sur ce qui est sa vérité, à savoir son amoralité.» La doctrine est claire : la sexualité non refoulée, c'est-à-dire le plaisir spontané, réside en un autre lieu que la moralité, c'est-à-dire en dehors de la Loi. Le plaisir et la Loi doivent d'ailleurs s'opposer ainsi puisque, on le sait, le « passage au symbolique » est à ce prix. La « castration » est d'ailleurs la désignation symbolique de ce sacrifice du plaisir que l'individu doit effectuer pour accéder au langage, c'est-à-dire à l'universel, c'est-à-dire à la Loi. La civilisation, ici, n'est plus considérée (à la façon de Marcuse ou de Freud) comme l'ensemble de la culture et des institutions, mais seulement et essentiellement comme la moralité : or cette moralité est toujours définie comme Loi et, aussi intériorisée soit-elle, elle est toujours destinée à s'opposer à la pulsion et au plaisir spontané, c'est-à-dire à l'individualité concrète. Nous avons montré, dans le chapitre précédent, combien cette opposition est artificielle et inopérante, lorsqu'on cherche la manifestation dans le réel. Nous voulions seulement montrer ici, par la référence à Lacan, que la pensée la plus récente rencontre les mêmes problèmes et les mêmes difficultés à les résoudre : au vrai, on ne le tente même pas. Car on ne sait pas, chez Lacan, ce qu'en fin de compte il convient de faire. Ce n'est sans doute pas l'objet de la psychanalyse de répondre à cette question. Mais, entre cette évidence et l'impossibilité de choisir précisément entre le plaisir spontané et la Loi, il y a une distance importante. Cette distance s'atténuerait si l'on pouvait affirmer clairement que, chez Lacan, on opte pour la Loi (condition du langage), tandis que, par exemple, chez Reich (que nous étudierons plus loin), on opte pour le plaisir, condition de l'équilibre et du bonheur. Mais cette clarification nous laisserait dans le domaine de l'abstrait, puisque l'opposition du plaisir et de la Loi ne correspond pas à la réalité, et ne recouvre pas toutes les possibilités logiques et existentielles du rapport entre ces deux concepts.

On peut en effet rencontrer les cas suivants :

a) le plaisir peut fonder la Loi, et s'y retrouver (par exemple les congés payés) ;

b) la Loi peut fonder le le plaisir et s'y retrouver (par exemple les obligations scolaires) ;

c) le plaisir peut se développer contre la Loi (transgression);

d) la Loi peut se déployer contre le plaisir (répression);

e) le plaisir peut se déployer à côté de la Loi, sans s'y opposer (par exemple le plaisir poétique) ni s'y réduire ;

f) la Loi peut se déployer à côté du plaisir, sans s'y opposer (par exemple la législation routière).

La culture contemporaine (y compris Jacques Lacan) se consacre à l'analyse de certains cas seulement, en ignorant tous les autres cas de figure possibles, et en s'interdisant par conséquent de travailler à la construction d'une éthique utilisable. On trouve certes chez Lacan l'affirmation réitérée d'un lien entre le désir et la Loi mais la conception de ce lien ne nous paraît pas fondée, et elle confirme de surcroît la critique générale que nous faisons des doctrines qui, aujourd'hui, opposent le bonheur et la Loi. Examinons ces points. Lacan n'oppose pas comme chez Kant la loi morale et le déploiement d'un désir de jouissance qui existerait dans un autre champ que le champ moral. Il faut aller plus loin : reconnaître que le désir est constitué par la Loi elle-même et qu'il y a entre eux un lien d'essence : « Freud nous révèle que c'est grâce au Nom du Père que l'homme ne reste pas attaché au service sexuel de la mère, que l'agression contre le Père est au principe de la Loi, et que la Loi est au service du désir par l'interdiction de l'inceste. » C'est la Loi elle-même qui institue le désir comme tel : « L'inconscient montre que le désir est accroché à l'interdit, que la crise de l'Œdipe est déterminante pour la maturation sexuelle elle-même. » La psychanalyse lacanienne établit donc bien un lien d'essence entre le désir et la loi, puisque la définition de celle-ci est d'être un interdit (une crainte de castration, une prohibition), tandis que le désir se constitue de cet interdit qui le frappe. « Le désir est désir, désir de l'Autre, avons-nous dit, soit soumis à la Loi. » Et encore : « La castration veut dire qu'il faut que la jouissance soit refusée, pour qu'elle puisse être atteinte sur l'échelle renversée de la Loi du désir. » Le lien est clairement établi entre le désir et la loi mais de quel lien s'agit-il sinon de celui-là même que nous avons observé jusqu'ici comme opposition et répression ? « C'est donc 'assomption de la castration qui crée le manque dont s'institue le désir. » L'opposition ne concerne certes pas deux entités déjà là qui seraient le désir d'un côté et la loi de l'autre elle se donne plutôt comme le déchirement interne (« la refente du sujet ») par lequel le désir se constitue d'être interdit et refoulé, d'avoir subi l'interdit et le refoulement.

En fait, nous retrouvons le schéma que nous avons critiqué dans ce chapitre : le désir doit être réprimé par un interdit dénommé Loi pour se constituer comme désir. Ce qu'apporte Lacan, c'est l'idée que la Loi, comme menace de castration (et par conséquent répression), n'est pas d'origine sociale mais d'origine subjective : « Car le gibet n'est pas la Loi, ni ne peut être ici par elle voituré. Il n'y a de fourgon que de la police, laquelle peut bien être l'État, comme on le dit du côté de Hegel. Mais la Loi est autre chose comme on le sait depuis Antigone. » C'est cette « autre chose » que nous ne comprenons pas, ou dont nous voyons plutôt qu'elle n'est en rien établie. Comme Lacan, qui, contre Kant, pense qu'une « voix intérieure » ne fonde pas vraiment une Loi morale et une universalité rationnelle, nous pensons que l'angoisse éprouvée devant la Loi menaçante ne fonde en rien cette menace de castration comme loi, mais la révèle seulement comme fait. C'est ce passage de l'angoisse (celle que métaphorise, selon Lacan, le lézard qui « dans la détresse » se tranche la queue) à la Loi (qui aurait prestige, autorité et pouvoir) qui reste obscur chez Lacan. Comment justifier que « l'Agression contre le Père est au principe de la Loi », comment comprendre le passage de la pulsion menaçante et menacée à un sentiment moral où l'interdit constitue simultanément et la Loi et le Désir, où la Loi se fait simultanément interdit respecté et désir respectueux ? Le fondement de la doctrine reste à nos yeux obscur. Il s'éclairerait, croyons-nous, par un examen plus approfondi du pessimisme de Lacan : se révélerait d'ailleurs non un véritable fondement, mais plutôt une signification philosophique, une attitude éthique, fort éloignées certes de nos propres options, mais suffisamment stimulantes pour « donner à penser », comme aurait dit Heidegger. Pour Jacques Lacan (et sans doute sur la base de son expérience clinique de la névrose), le désir prend tout son sens (c'est-à-dire son « peu de sens ») d'un signifiant qui le symbolise comme inaccessible : à propos d'un rêve de caviar évoqué par Freud, Lacan précise : « Le désir, s'il est signifié comme insatisfait, l'est par le signifiant : caviar, en tant que le signifiant le symbolise comme inaccessible, mais (...) dès lors qu'il se glisse comme désir dans le caviar, le désir du caviar est sa métonymie : rendue nécessaire par le manque à être où il se tient (...) (là) se produit le peu de sens qui s'avère au fondement du désir (...) le vrai de cette apparence est que le désir est la métonymie du manque à être. » Là se donne la signification ultime de la doctrine : le désir se soutient du manque, et se constitue même en réalité comme un vide : « La couleur sexuelle (de la libido) si formellement maintenue par Freud comme inscrite au plus intime de sa nature est couleur-de-vide : suspendue dans la lumière d'une béance. » Et ce vide qui caractérise le désir s'avère être, comme essence même du désir, l'image de l'impossible : « Cette béance est celle que le désir rencontre aux limites que lui impose le principe dit ironiquement du plaisir, pour être renvoyé à une réalité qui, elle, on peut le dire, n'est ici que champ de la praxis. C'est de ce champ justement que le freudisme coupe un désir dont le principe se trouve essentiellement dans des impossibilités. » On pourrait compléter la description de la doctrine en évoquant le fait que le phallus n'y est qu'un signifiant symbolique que personne n'a vraiment et qui, posé fantastiquement par le désir, le représente sans le constituer le désir n'a son vrai lieu que dans le rêve ou le fantasme ; la satisfaction du besoin n'est qu'un leurre, le désir ne se situe qu'entre le besoin et la demande ; le sujet « a à trouver la structure constituante de son désir dans la même béance ouverte par l'effet des signifiants chez ceux qui viennent pour lui à à représenter l'Autre, en tant que sa demande leur est assujettie ». La signification d'ensemble de tous ces faits n'est pas douteuse : le désir n'est, dans le sujet, que la présence béante de son manque à être, de son manque d'être, de son angoisse face au peu de sens et à l'impossible : « Si le désir est la métonymie du manque à être, le Moi est la métonymie du désir.» L'intention globale de la doctrine s'éclaire bien maintenant : c'est par sa structure même que le désir se donne comme le tragique ultime qui n'a pas à être fondé puisqu'il fonde le tout du sujet comme pure référence au Vide, à l'impossible et au néant.

Le tragique chez Lacan n'est pas le résultat d'une dialectique externe entre la société et la pulsion (comme le suggèrent les doctrines de Freud et de Marcuse prises dans leur littéralité), mais le sens même du désir, le sens du désir même. Mais ce n'est là, pensons-nous, qu'une des descriptions possibles de la sexualité telle qu'elle est vécue dans la névrose, description qui ne s'autorise que de l'identification entière du désir et de la loi, à quoi s'ajoute la définition de celle-ci comme pur interdit sexuel. Cette description laisse la discussion ouverte, puisqu'on ne voit pas comment une angoisse de castration (fût-elle symbolique) aurait le pouvoir d'engendrer une loi, c'est-à-dire un exigible à signification morale et universelle. Quoi qu'il en soit, l'œuvre de Lacan, avec celle de Heidegger (et, dans une moindre mesure, celle de Sartre), est l'une des plus remarquables réflexions sur le tragique que notre temps ait suscitées. Et l'on peut ici se souvenir : Cesare Pavese, par exemple, n'a-t-il pas illustré, par son suicide, comment le vide sexuel, l'impuissance peut être parfois tragiquement vécue ? Mais n'est-il pas vrai, également, que Pavese eut à faire aux communistes et à leur inquisition ? Qui dira jamais, en ce cas, d'où vient le tragique ? Du manque à être sexué, ou du manque à être social ? De l'impuissance ou de la solitude ? Du désir comme castration ou de la solitude comme loi Et pourquoi tous ne se suicident-ils pas Observons que, à lier de l'intérieur le désir-béance et la loi-interdit, Lacan a marqué le tragique d'un poinçon particulièrement acéré; mais observons aussi que, en ayant ainsi intégré ce désir et cette loi, il a certes évité la schématisation sociologique grossière, il n'en a pas moins voulu condamner avec la même rigueur que Freud l'illusoire prétention au bonheur. En ceci, cette pensée est encore plus austère que celle de Kant et de Sade. Chez Lacan, la Loi ne se borne pas comme chez Kant à interdire le bonheur visé par les pulsions et les sentiments, c'est-à-dire le désir ; elle ne se borne pas même, comme chez Sade, à imposer de poursuivre le bonheur dans la souffrance des Autres. Beaucoup plus rigoriste et austère, la Loi chez Lacan constitue le désir lui-même comme l'impossibilité de la la satisfaction vraie et par conséquent du bonheur. Le tragique, ici, comme exil du sujet loin du bonheur et de l'être, ne provient d'aucune autre instance que du sujet lui-même. C'est là une option philosophique et un système ouvert d'interprétation, mais non pas une vérité universelle. Nous savons bien que Lacan n'aurait pas retenu l'objection, mais il reste que l'on voudrait savoir ce qu'il en est, en tout cela, de la liberté. Le moi, le sujet ou le désir sont posés comme métonymie du manque à être partir de l'interdit œdipien : mais cet interdit remonte à l'enfance. Joue-t-il son rôle de la même manière et dans le même climat, en tous et définitivement ? Et qui joue ce rôle du censeur quand on a exclu la Société et l'État ? Il y là un paradoxe : la doctrine de Lacan exprime non seulement une option sur le sujet, mais peut-être aussi, malgré l'apparence, sur la société. Parce que nombreux sont les patients, les praticiens et les théoriciens qui s'y reconnaissent, elle exprime peut-être aussi le fonctionnement même de la société où elle se déploie. La question de la liberté reste dès lors entière ; tout sujet de cette société est-il nécessairement et définitivement marqué au sceau de l'Impossible et au poinçon du tragique ? Tous sont-ils interdits de désir et pour toujours ? S'il veut dépasser cet impossible où on l'enferme, une seule issue reste ouverte au désir lorsqu'il est décrit en termes quasi nécessaires de béance, de castration et d'interdit : la transgression de la Loi, fut-elle d'origine interne. Obtiendrons-nous ici une lumière et une voie nouvelles qui, au-delà de l'interdit, nous conduiraient vers quelque chose d'autre qui pourrait valoir comme un bonheur, comme une liberté, ou au moins comme leur annonce sympathisante ?

(Robert MISRAHI : Ethique, politique, bonheur)

PREMIÈRE PARTIE Les alternatives artificielles dans la détermination et l’interprétation des fins / B. LE DÉSIR OU L’INSTITUTION / 3 Le Plaisir ou la Loi

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