Les nouveaux chemins de la connaissance (Adèle Van Reeth 27-09-2013 – Une Ethique de la Joie)

Robert Misrahi

Robert Misrahi :

« Je suis, je voudrais être un philosophe, c’est à dire un individu qui désire fonder et construire sa vie par lui-même et qui s’efforce de diffuser et de partager ce désir d’autonomie.

En quoi allait consister cette philosophie qui est une éthique ?

C’est ce que nous allons découvrir peu à peu avec le déploiement de ma vie qui, en fait, est le déploiement de ma pensée. 

C’est que je suis comme habité et porté par une grande passion qui est une grande certitude. Cette passion active dirai-je, est à la fois l’expression de tous mes choix, de mon être passé et l’expression de l’enthousiasme et de la force que j’acquière par le développement de ma propre réflexion ».

Adèle Van Reth : – Vous venez de lire un extrait de votre propre autobiographie, Robert Misrahi, un extrait de la « Nacre et le Rocher », autobiographie au nom magnifique publiée aux Editions Encre Marine en 2012. Dans cet extrait, vous dites qu’être philosophe c’est se construire par soi-même.

Robert Misrahi :

-Etre philosophe, c’est d’abord se détacher de la quotidienneté, c’est-à-dire de tout ce qui se passe quotidiennement, un peu par hasard, un peu « à la va comme je te pousse », c’est prendre une légère distance et puis décider de n’agir désormais qu’à la lumière d’une réflexion bien fondée.

Cette réflexion bien fondée nous convainc aisément, très vite, que nous avons à construire notre propre autonomie, c’est-à-dire à poser nous-même et à choisir nous-même, à poser les principes qui vont orienter notre vie.

Nous allons tenter de réaliser ce que, à la lumière de la réflexion, nous aimerions bien être, nous aimerions bien vivre. On pourra constater qu’à le vouloir, sérieusement, nous le réalisons.

On peut appeler autonomie, par conséquent le fait de se donner à soi-même sa propre loi.

Bien entendu, c’est une démarche à laquelle tout le monde fait allusion mais que l’on prend peu au sérieux. Il faut la prendre au sérieux cette démarche d’autonomie !

Elle marque d’abord, c’est sûr, une certaine solitude, une sorte de différence entre ce que l’on dit d’habitude et ce que l’on va soi-même montrer, démontrer, éprouver, construire.

Il y a donc une certaine solitude, une certaine distance mais qui ne sont pas le moins du monde le fait de sombrer dans un gouffre, sombrer dans un pessimisme.

La solitude n’est qu’un moment passager de réflexion et de construction. Mais reconnaissons, il faut avoir le courage de cette solitude pour commencer à construire une vie qui ne sera pas une vie solitaire.

AVR : Le courage serait donc l’élément nécessaire pour devenir philosophe ?

Il y a un autre élément sur lequel vous insistez beaucoup dans votre philosophie, c’est celui de désir. Puisque vous avez parlé de volonté, il faut vouloir se donner les moyens de devenir ce que nous voulons être mais vouloir ne suffit pas. Il ne suffit pas de vouloir pour devenir. Quel rôle joue le désir dans cette pensée ? 

RM : Absolument, vous avez raison. La volonté n’est qu’un mot, c’est une faculté qui a été inventée par les philosophes du XVIIème. La vérité c’est que le moteur de notre action est le désir mais un peu différent de tout ce qu’on entend aujourd’hui.

Aujourd’hui on entend par désir une sorte de force obscure et aveugle d’origine physiologique et qui nous commanderait. J’estime au contraire que le désir est un élan habité par notre présence. C’est à dire d’abord notre pensée et ensuite notre réflexion.

Je prendrai un exemple simple : je suis en train de faire mes courses dans une rue commerçante. Je n’ai pas l’intention de réfléchir ni à ma vie ni à mon avenir, non, je suis juste en train de faire mes courses. Je suis semble-t-il mu par mon désir mais ce désir, constatons qu’il est intelligent, je ne m’arrête pas à tous les magasins,

Lorsque je m’arrête à un magasin, c’est que je l’ai choisi, mon désir choisi. Imaginons que c’est une librairie, dans ce magasin encore une fois je choisis si je trouve ce que je désire, je suis satisfait je puis partir et poursuive ma voie, si je ne trouve pas, je ne tombe pas dans le désespoir, je me dis que je repasserai quelques jours plus tard ou bien que je téléphonerai au libraire. Autrement dit, le désir est intelligent.

Tout cela va contre ce que l’on nous dit aujourd’hui que le désir serait une force aveugle et destructrice. Il n’en n’est rien. Ce qui est vrai, reconnaissons-le, c’est que le désir d’abord commence par être une spontanéité qui n’est pas forcément adéquate, intelligente.

Je puis très bien en choisissant le livre que je vais acquérir, je puis très bien faire un mauvais choix, me tromper, je puis très bien faire une erreur dans mes choix.

Si je suis en voiture, si je conduis, j’arrive à un carrefour, je prends une voie, il se peut très bien que je prenne une mauvaise voie.

Le désir est intelligent, il choisit, mais il n’est pas toujours adéquat, il peut très bien être erroné, maladroit, contradictoire.

Par exemple, je désire être heureux. Je veux être heureux tout de suite, maintenant complètement. Qu’est-ce que je fais ? Je prends de la drogue et là résultat, je me détruis. Mon libre désir était un désir non réfléchi, maladroit, erroné, contradictoire, contre-productif comme on dit.

Autrement dit, nous sommes mus par le désir mais ce désir est une présence, à la fois d’une énergie et d’une conscience.

Allons un peu plus loin, essayons de décrire un autre aspect du désir. On nous dit aussi que le désir est manque, on, c’est à dire, Lacan, Sartre, Hegel et que, par conséquent, un manque par essence qui ne saurait être comblé. Voilà pourquoi on devrait pouvoir affirmer que la conscience est par essence, conscience malheureuse.

Il n’en est rien, je vais employer un mot un peu fort vous en conviendrez ; c’est une forfaiture de dire que le désir est par essence un manque qui ne saurait être comblé.

Toute l’expérience humaine prouve le contraire : il y a des désirs qui sont comblés. Le cultivateur sème son blé puis il le récolte et il a la satisfaction de récolter sa moisson. Nous avons soif, nous buvons et nous sommes rassasiés. Le désir est un manque mais provisoire.

Le manque dans le désir est un moteur, la source d’un dynamisme. Mais alors, que vise le désir ? Le désir vise justement et par définition la satisfaction.

AVR : Spinoza présente le désir comme élan habité. Un désir bien compris qui est la condition du bonheur ou de la joie.

Votre pensée du désir est-elle identique à celle de Spinoza et sinon sur quel point êtes-vous en désaccord ? 

RM : Vous posez la question centrale :

Il y a une différence considérable entre l’ensemble de la philosophie de Spinoza et la philosophie que j’essaie de proposer. Cette différence est le déterminisme.

Spinoza pose un déterminisme radical, total et insurmontable déterminisme de la nature ce que nous appelons la nature physique, le monde extérieur, déterminisme également dans les pensées et donc déterminisme du désir et des affects.

Je ne pense pas que le désir soit déterminé comme le décrit Spinoza ou nos contemporains qui sont fascinés par l’idée de déterminisme sans se rendre compte qu’ils se contredisent.

Il y a une contradiction totale qui est la suivante :

Comment peut-on contester notre vie ordinaire qui est une vie passive et non autonome, comment peut-on rejeter cette forme de vie si nous sommes déterminés ?

Si nous sommes déterminés nous allons rester dans le déterminisme.

Pour que nous puissions nous arracher au déterminisme, il faut que nous soyons déjà capables de nous arracher c’est-à-dire que nous sommes déjà libres. 

N’ayons pas peur du mot liberté. Liberté ne veut pas dire tout de suite action intelligente et heureuse. Liberté veut dire actions autonomes je puis très bien décider des actions dont je suis la seule source et qui sont erronées, je puis très bien les éclairer et je vais construire des actions ordonnées.

Je vais construire des actions ordonnées. Ce qui m’intéresse chez Spinoza ce n’est pas la théorie du déterminisme.

L’individu est d’abord totalement libre mais Sartre a oublié de dire que l’individu totalement libre peut prendre des décisions erronées. 

AVR : Si vous prenez vos distances avec le déterminisme de Spinoza, accordez-vous toutes vos faveurs à la liberté sartrienne, c’est à dire à l’existentialisme qui consiste à dire Sartre vient de le dire lui-même que l’homme devient ce qu’il décide.

RM : -Je tiens à manifester toujours ma dette à l’égard de Sartre ;

Je pense que Sartre est le 1er philosophe qui ait expliqué clairement bien qu’on ne le lise pas en détail ce qu’est la contingence de l’action quotidienne. Dans l’action quotidienne, nous pouvons agir vers une direction A ou vers une direction B toujours et sans exception. Nous sommes source d’initiative, même le cerveau est source d’initiative mais Sartre s’arrête là, nous sommes source totale d’initiative donc source de responsabilité.

Oui, nous sommes à la source de ce que nous allons faire mais ce que nous allons faire va t’il nous combler ? Pas forcément.

Ce que nous allons faire si nous le faisons dans la hâte, si nous le faisons dans l’imprudence et dans l’irréflexion, ou pour le dire autrement, dans la spontanéité, nous allons le plus souvent accomplir une action erronée qui risque de se retourner contre nous ou bien d’être inutile.

C’est pourquoi je tente avec mes moyens de compléter la philosophie de Sartre par l’intervention de la réflexion.

C’est-à-dire que la véritable Liberté sera le redoublement de la première liberté par une seconde qui elle, sera une liberté réfléchie or l’être humain qui est une conscience, tout être humain est une conscience fut-elle erronée ; tout être humain est une conscience, toute conscience peut se redoubler et devenir peu à peu réflexion.

C’est la définition même de l’être humain d’être d’abord une simple conscience et ensuite la possibilité de devenir une conscience réfléchie.

C’est pourquoi je tiens à ce que je vais appeler une doctrine des 2 libertés : nous sommes libres spontanément toujours mais maladroitement et nous allons être libre d’une façon heureuse cette fois et non pas dépendante, libre d’une façon heureuse dans tous les sens du mot heureux c’est-à-dire adéquat, intelligent, réussi, accompli, réfléchi si nous réfléchissons, si nous mettons en œuvre ce que j’appelle une liberté de second niveau mais pour que l’être humain parvienne à cette liberté de second niveau que va donner d’abord la culture, la philosophie etc…, pour que l’être humain puisse parvenir à cette liberté, il faut avoir le courage d’affirmer qu’il était déjà libre au 1er niveau. Et c’est ce que nos contemporains ne souhaitent pas ou n’osent pas affirmer. 

AVR : Vous pensez à qui quand vous parlez des contemporains ?

RM : A Onfray qui se gargarise du déterminisme des situations.

AVR : Il y a peut-être d’autres philosophes que Michel Onfray qui reconnaissent ce que vous dites.

RM : Vous avez tout à fait raison. J’ai de très nombreux échos de collègues philosophes, d’amis, d’enseignants, d’écrivains qui sont bien d’accord avec cet appel à la liberté.

On ne peut pas ne pas être d’accord avec cet appel à la liberté puisque tous les déterministes signent leurs œuvres et tous les déterministes expliquent leur doctrine comme étant la doctrine véritable mais pourquoi est-elle véritable si elle est déterminée ? Tous les déterministes s’attribuent un mérite ; le mérite de l’affirmation d’une doctrine vraie qui soit le déterminisme. Ils ont inventé !

Il faut admettre en même temps que nous admettons la liberté de l’humanité il faut admettre son pouvoir d’invention.

S’il n’y avait pas dans l’humanité un pouvoir d’initiative et d’invention il n’y aurait pas d’histoire.

L’histoire n’est pas le moins du monde, comme le croient nos déterministes, le résultat des causes passées sur le présent, l’histoire est le fruit de l’action de notre pensée de l’avenir sur notre présent. 

AVR : Ce qui ressort de votre itinéraire philosophique, Robert Misrahi, mais aussi des philosophes dont vous êtes l’héritier c’est le souci et le souhait de proposer une pensée de l’actif, de l’activité créatrice. Vous avez évoqué ces 2 libertés :

La 1ère qui est vécue comme une forme de déterminisme et ensuite la seconde, une liberté réfléchie pleinement acquise.

Le problème est de savoir comment passer de la 1ère liberté à la seconde. Est-ce que ce n’est pas dans cette question de l’activité mais aussi du concret que se trouve la clé du passage de l’une à l’autre comme semble le dire Spinoza qui présente l’homme sage comme étant celui qui sait prendre plaisir autant qu’il est possible aux choses : profiter des parfums, des plantes du sport, de la musique, du théâtre.

Comme si la clé de conversion résidait en partie dans la prise en compte des affects comme celui du plaisir. 

RM : Oui bien sûr, mais il faut comprendre que le plaisir est la manifestation de la réussite du désir. C’est-à-dire que le plaisir implique autant la pensée que le désir lui-même implique la pensée.

Le plaisir n’est pas un événement physique, matériel, aveugle, obscur, un tsunami, un tonnerre ; le plaisir est une activité de l’ensemble de l’être humain, y compris de son consentement. S’il n’y a pas consentement, c’est à dire activité de l’esprit, s’il n’y a pas consentement, il n’y a pas plaisir (plaisir de la table, du sport, de la musique….) il faut qu’il y ait présence et activité de celui qui prend plaisir.

La vérité c’est que le plaisir nous met sur la voie de ce qui est désirable. Le plaisir nous met sur la voie de ce qui est désirable parce que cela est la complétude. Nous savons que le désir est un manque provisoire destiné à devenir comblé, à devenir plénitude, plénitude modeste s’il s’agit de plaisir modeste, plénitude intense s’il s’agit de musique, d’amour, de réussite de sa vie, la plénitude peut être intense et c’est cela qui est visé. Voilà pourquoi Spinoza m’a intéressé parce qu’il sait que ce qui est visé c’est la joie mais la joie réfléchie, la joie active, une joie qui le fruit de sa propre activité, de sa propre créativité, de son propre dynamisme créateur. 

AVR : Comment définissez-vous la joie ici Robert Misrahi ?

RM : La joie est précisément le sentiment d’une totalité à laquelle nous sommes parvenus, c’est-à-dire d’un accord avec soi-même et d’un accord avec le monde. Cet accord étant à la fois une pensée et une intuition, c’est-à-dire une jouissance immédiate mais au niveau de la pensée.

Lorsque nous écoutons une musique lorsque nous assistons à un opéra, nous éprouvons une joie qui est une joie active parce que nous sommes présents, comblés.

Nous sommes dans un temps qui est en même temps hors du temps et c’est cela la grande joie d’une œuvre d’art, de la contemplation de la beauté, de la contemplation des splendeurs du monde si j’ose dire.

AVR : Mais cette joie est encore une fois le résultat d’un travail, d’un itinéraire, peut-être philosophique, d’une réflexion. Elle n’est pas immédiate. On a peut-être ici entre le désir immédiat puis le désir bien compris puis enfin la joie ce que serait une voie proprement philosophique telle que vous l’entendez ?

RM : Vous avez raison d’insister il y a en effet une médiation qu’il faut nommer, sur laquelle il faut réfléchir.

La médiation va être la souffrance. Parce que la vie quotidienne avec ses choix erronés va nous plonger, chacun le sait bien, dans la difficulté, les difficultés du désir non accompli, soit de la concurrence, soit de  l’accord de nos désirs avec ceux d’autrui. Donc la vie quotidienne est à la fois notre vie libre et spontanée est en même temps notre vie incohérente et souffrante.

Cette souffrance à certains moments, pourvu qu’on ne se satisfasse pas de la pensée facile du déterminisme qui consiste à dire c’est nécessaire, je n’y peux rien, ce n’est pas de ma faute, non on ne se satisfait plus de cette attitude, on s’aperçoit que sa souffrance mobilise toute notre personnalité.

Si nous souffrons par exemple du départ d’un être aimé ce n’est pas parce qu’il s’est déplacé dans l’espace et qu’il a accompli un voyage que nous souffrons c’est parce que nous l’aimons mais cet acte d’amour est un acte de l’esprit, c’est notre acte qui fait notre souffrance et nous pouvons insister sur notre souffrance, nous le faisons librement.

Et nous pouvons aussi rencontrer des souffrances tellement graves qu’elles nous mettent en danger de mort. J’appelle cela la crise.

Une crise est le moment ou la souffrance atteint un extrême qui, s’il se poursuivait, conduirait à la mort, soit la mort symbolique l’immobilité, la dépression, le dégout de vivre, la nausée comme disait Sartre.

Soit au contraire cette souffrance extrême peut nous conduire à ce que je vais appeler le coup d’arrêt qui consiste à dire : ou je continue et je meurs je n’ai pas envie de mourir donc j’arrête, j’arrêt quoi ? J’arrête de souffrir de cette façon, c’est-à-dire d’accepter le monde tel qu’il est actuellement, tel que je l’ai fait et qui me fait souffrir.

Je suis la cause de ce fait que le monde me fait souffrir.

J’arrête c’est-à-dire que, à ce moment, au moment de la crise, on décide de ce qu’on peut appeler une rupture, rupture qui pour être féconde doit être plus qu’une rupture.

Il ne s’agit pas de seulement casser avec le passé et s’ouvrir à l’avenir, il s’agit de renverser notre point de vue ancien, qui était le point de vue passé et de nous ouvrir à un nouveau point de vue. C’est-à-dire qu’ici nous sommes face à une conversion. Conversion philosophique indispensable. 

AVR : Une conversion qui en appelle à une responsabilité du sujet immense puisque vous avez dit il s’agit de se considérer comme étant la cause du malheur, de ne pas s’en prendre au monde et aux évènements qui nous arrivent mais de se situer à l’origine peut être non pas de ce malheur mais de la tristesse qui s’en suit.

La conversion, le terme n’est peut-être même pas assez fort, puisqu’il s’agit d’une métamorphose totale du rapport à soi et au monde. On est presque quasiment ici dans une forme de rupture qui est d’ordre psychologique. C’est tout son esprit qu’il faut changer ici. Ce n’est plus une histoire de concept.

RM : Naturellement, c’est un changement radical où l’individu va tenter de devenir consciemment cette foi, cause de soi et c’est cela la responsabilité absolue. Nous allons comprendre que nous sommes source et de nos souffrances et de nos joies et que nous sommes source de notre vie et nous allons surtout décider maintenant d’une autre manière d’aborder les choses, d’aborder la vie et de comprendre ce qui nous arrive parce que la conversion n’est pas seulement la décision brusque de nous tenir pour responsable, elle est aussi une activité qualifiée que nous pouvons décrire. Vous savez que je ne me satisfais jamais de la simple évocation d’un mot pour résoudre un problème.

Si je dis bonheur, je veux définir, si je dis liberté, je veux définir, si je dis conversion, je veux définir. Alors si vous le voulez, je peux détailler cette conversion.

Pour simplifier je peux dire qu’elle comporte 3 moments qui sont à la fois si on veut successif et contemporains.

Le 1er moment c’est la décision de comprendre qu’une situation extérieure est notre fait, que les déterminismes extérieurs sont notre fait. Je vais prendre un exemple extrême qui va susciter révolte et protestation. Par exemple : les cours de la bourse, les lois des finances, ce n’est tout de même pas moi qui les construit. J’affirme que si, c’est moi qui les construit, moi c’est-à-dire nous tous. Comment cela ?

Et bien oui, les cours de la bourse dépendent du nombre d’actions qui sont achetées ou vendues.

Qui achète ou vend des actions ? Des individus libres, ne disons pas que les investisseurs sont des robots, les investisseurs sont des hommes libres, méchants, égoïstes tout ce que vous voulez et puis les actions couvrent des biens matériels que j’achète ou que je n’achète pas.

Regardons l’idée si simple sur laquelle personne ne veut réfléchir, l’idée de grève.

Que veut dire grève : décision libre d’un arrêt libre d’activité. Tout le monde sait ce que c’est une grève. Personne ne dit que les grévistes sont déterminés. Les grévistes sont responsables. On voit bien que les syndicats sont libres de choisir leur mode d’activité.

Revenons à la conversion

Le 1er aspect de la conversion c’est donc de revenir à sa propre puissance créatrice. Nous sommes une liberté, nous sommes une puissance créatrice, reconnaissons-le et décidons que la suite va en dépendre.

Le 2ème aspect de la conversion va concerner mon rapport à autrui. D’habitude, le rapport à autrui est un rapport d’utilisation.

Trop souvent, revenons par exemple à l’employeur. Trop souvent on considère autrui comme utilisable, comme utile, très utile, peu utile, bien utilisable, jetable. Oui mais c’est une manière de penser, ce n’est pas une manière de penser qui correspond à une réalité inchangeable.

On peut changer cette réalité, on peut changer la manière dont on considère autrui. Au lieu de considérer autrui comme quelqu’un d’utilisable, on peut le considérer comme nous, comme un centre, on peut le considérer comme une liberté et une personnalité valable. Si je considère autrui comme une liberté valable, je vais tout changer.

AVR : Pardonnez-moi Robert Misrahi de vous interrompre, mais sur ce 2ème point, est-ce que vous ne postulez pas à une liberté créatrice absolue indépendante du monde dans lequel nous vivons. Bien sûr que nous pouvons changer notre conception des personnes qui nous entourent, du monde, du système économique, ou que sais-je encore mais on ne peut pas faire abstraction totalement de ces déterminismes qui en sont, qu’ils soient d’ordre sociaux, politiques, économiques et qui font qu’il ne suffit pas d’un simple changement de regard ou de perception pour changer le monde ».

RM : Mais pardonnez-moi, vous venez de proposer un raisonnement qui s’appuie sur l’affirmation du déterminisme. Vous faites une pétition de principe. C’est-dire que vous commencez par dire, nous sommes déterminés, comment ne pas le reconnaître ; c’est cela dont il est question.

Il faut déjà changer le constat empirique et nous apercevoir de notre responsabilité commune, je ne suis pas seul au monde. Ce n’est pas moi qui fais l’efficacité d’une loi économique. C’est un peu moi, je suis le soixante millionième, j’ai cette part de responsabilité, nous sommes, tous les habitants d’un territoire, responsables libres ensemble de ce qui nous arrive.

Regardez ce qui arrive au moment de la guerre. Au moment de la guerre, certains disent : « on arrête » et d’autres disent « on continue ».

Tout le monde sait que tout le monde est libre et Sartre avait raison de dire que nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’occupation allemande car on peut toujours décider ou la résistance ou le combat ou de la soumission. Mais qui décide ? Nous tous s’il y a une efficacité de la résistance c’est parce qu’elle fut partagée. Pas parce que un seul a dit moi je suis libre, seul au monde

Un seul a pu dire nous sommes tous libres et efficaces. Unissons-nous car c’est nous qui vaincrons. Et c’est effectivement la résistance, les allies l’Amérique, la France qui a vaincu.

AVR : Donc vous pensez que cette entreprise de conversion puisque c’est une entreprise, il y a toute une démarche, un processus à suivre peut s’appliquer à l’échelle collective ?

RM : Naturellement mais à quelle condition vous avez tout à fait raison de signaler la difficulté du problème comment peut-on mettre au niveau collectif cette responsabilité, cette tache ?

Il s’agit de diffuser la culture, de diffuser une culture de la liberté.

Mais qui diffuse la culture ?

Les écoles, les lycées, les universités, les médias.

Qui organise les médias ? Qui organise les programmes ? Le pouvoir politique.

Quel pouvoir politique aura à cœur de diffuser une culture libératrice ?

A l’évidence la démocratie.

Autrement dit, il faut absolument passer par la démocratie pour donner efficacité à tout ce que j’affirme.

Je suis tout à fait conscient du fait que, si on prend les choses dans l’état, par exemple une population lointaine inculte on ne passera pas tout de suite à la liberté réflexive. Ce n’est pas vrai. Bien sûr. Il faut diffuser la culture

Regardez combien sont incultes les chebbas ? Je parle des terroristes islamistes.

Voyez comme ils sont incultes, comme ils ne savent pas, comme ils se lancent dans les croyances les plus obscurantistes possibles, les plus simples, les plus obscures avec la volonté de puissance la plus frustre. Ils sont dans l’immédiat la volonté de puissance.

Il est évident que ce n’est pas en faisant un discours éclairé qu’on les convaincra. Il faut un long processus historique.

C’est le processus de culturation par la presse, les lycées, les universités les médias qui en Europe a produit la liberté de conscience, a produit la démocratie. Bien entendu qu’il faut un long processus et que la spontanéité quotidienne des intérêts ne se change pas immédiatement sans peine.

La 3ème étape, imaginons que nous avons réalisé avec autrui une conversion réciproque. Nous avons fait notre conversion, aussi fait la même pour que, ensuite, la relation se déploie dans un nouveau monde. Je développerai prochainement dans un prochain livre un amour tout autre.

Ensemble les gens qui s’aiment, les amis, les coopérateurs vont se réjouir du monde. Ils vont comprendre, c’est la 3ème conversion, que le sens de l’existence humaine consiste très précisément à acquérir la joie et une joie qui soit souveraine durable et significative. Une joie active.

Nous allons cesser de considérer que la souffrance est le lot de l’humanité, nous allons considérer que le lot de l’humanité c’est précisément la joie.

Pour parvenir à la joie, pour parvenir à l’expression totale de l’accomplissement il faut renoncer à toutes les idées anciennes, à toutes les idées pessimistec, à toutes les idées et du déterminisme et du malheur de la conscience. Il faut savoir que l’humanité a pour but de se construire libre et heureuse. C’est tout simple et comme vous savez ce n’est pas simple.

AVR : ce sont des buts que vous déclarez être tels, la liberté et le bonheur.

RM : En réalité ce sont les buts que tous poursuivent.

Tout le monde veut être libre et heureux. Mais peu ont le courage de le reconnaître, tous se cachent derrière l’affirmation, « je n’y peux rien ».

Non, la joie n’est pas le lot de l’humanité, regardez comme la vie est difficile, la guerre, la souffrance, le chômage etc…

Oui mais, on est d’accord avec tout ça, ou on pense qu’on va pouvoir changer tout ça ?

Tout le monde pense en même temps qu’ils peuvent le changer. Les gens sont étonnants de contradiction. A la fois ils affirment le déterminisme historique et à la fois ils disent : votez pour moi, je vais faire ce que les autres ne vont pas faire.

A bon, lui est libre mais pas l’histoire ? Qu’est-ce que c’est que cette incohérence ?

La vérité c’est que l’humanité fait son bonheur et son malheur, l’humanité elle-même crée les conditions de sa joie mais elle doit le savoir clairement et elle doit clairement mettre en œuvre tous les moyens de parvenir à cela.

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